Les derniers dieux
Les derniers dieux
Goutant de nouveau le bonheur de la solitude, Thierry se sent bien, oui, si bien dans sa peau, qu’il en vient même à se dire que cette histoire de transformation, cette épineuse question de métamorphose, n’est qu’un mauvais quart d’heure à passer. Il est convaincu que cet épisode fâcheux, ce Thierry devenu Thérèse, ne sera, au bout d’un certain laps de temps, qu’un vague souvenir enfoui dans les brumes du passé. Il se verse un dernier verre de vin, s’installe de nouveau au coin du feu. Le coeur quiet, il envisage, avec satisfaction, la succession d’heures calmes qui, malgré le sortilège des dieux, lui sont encore réservées. Habiter le silence, se dit-il, le soupir soulagé, n’appartenir qu’aux images. Son contentement d’esprit est si grand qu’il se met presque à ronronner. En dépit de tout, se dit-il, en effleurant du doigt la peau lisse de sa joue, je peux m’estimer heureux. Comme le voisin Barthélémy, avec son art, son renoncement et sa profonde liberté, je suis, moi aussi, chère Danaé, le modèle même de l’homme comblé. La pensée à peine formulée, Thierry sent mourir le sourire sur ses lèvres, sent son sang se glacer dans ses veines. Il se redresse dans son fauteuil, les yeux exorbités. Mais tais-toi, donc, imbécile ! s’écrie-t-il, épouvanté. Tu veux encore t’attirer des foudres ? Il se recroqueville contre les coussins, se fait tout petit sous le plaid. Les vautours planent, se dit-il, les dieux guettent. Et il n’y a rien qui les provoque tant que le pauvre bonheur humain.